Par PATRICK MBEKO
Mercredi, quand j’ai ouvert ma boîte électronique, je suis tombé sur le message d’un ami québécois, un des meilleurs chroniqueurs que j’ai eu à lire au Canada. « Hier, écrit-il, ce fut la mort d'un grand homme et les ordures se sont déjà régalées de son cadavre hier même quelques heures seulement après l'annonce de son décès. »
Depuis l’annonce de la mort du président Hugo Chavez, une certaine presse « fast-food » occidentale se régale. La mort du « populiste », du « dictateur », d’un « leader controversé », de ce « chantre charismatique et parfois fantasque du socialisme du 20è siècle »; le Figaro a titré pour sa part : « la fin d’un provocateur »… et ça n’a pas arrêté toute la journée. Certains journalistes vont jusqu’à prétendre que l’homme était détesté d’une bonne partie de son peuple! Ah bon! Oui oui, mais en fait pour être honnête, il s’agit d’une infime minorité composée des descendants de colons européens; ceux-ci constituent la bourgeoisie locale et maintiennent des liens étroits avec les impérialistes américains et européens.
Hugo Chavez est né le 28 juillet 1954 dans l’État de Barinas au Venezuela, des parents instituteurs. Il est issu d'une famille d'origine principalement indienne des Andes, espagnole et afro-vénézuélienne. Le nom d’Hugo Chavez est sorti de l’anonymat en 1992 lorsque, alors jeune officier de l’armée, il tenta de s’emparer du pouvoir avec un groupe d’officiers gauchistes. Cette aventure osée et sans lendemain lui vaudra deux années de prison avant d’être gracié par le président Rafael Caldera. Une fois sorti de prison, Chavez fonde un parti politique, le Movimiento Quinta Republica (MVR, Mouvement Cinquième République). Six années plus tard, celui que les Vénézuéliens surnommeront « El comandante » remporte avec plus de 56 % des voix, les élections présidentielles du 6 décembre 1998. À l’époque, une grave crise sociale frappe ce pays des inégalités sociales pourtant le deuxième exportateur de pétrole au monde. Hugo Chavez aurait dit alors : « La démocratie, ce n’est pas seulement l’égalité politique, c’est aussi, voire surtout, l’égalité sociale, économique et culturelle. Tels sont les objectifs de la révolution bolivienne. Je veux être le président des pauvres. »
À peine installé au palais de Miraflores (le palais présidentiel), il fait adopter une nouvelle Constitution et remet son mandat en jeu en 2000. Il fait également rebaptiser son pays « République bolivarienne du Venezuela ».
Très vite, Chavez s’attaque à la pauvreté endémique qui frappe une grande partie de la population. 80 % des Vénézuéliens vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Pour renflouer les caisses de l’État, il multiplie les nationalisations, notamment dans le secteur pétrolier, l'électricité et les télécommunications. Grâce aux richesses pétrolières, Hugo Chavez met en place de nombreux programmes sociaux, axés sur la santé, l'éducation et le logement, à destination des populations pauvres. Cela ne lui sera pas pardonné par les États-Unis et la bourgeoisie locale.
Le 10 décembre 2001, le patronat appelle à une grève générale dans tout le pays pour protester contre les mesures initiées par Chavez. Quatre mois plus tard, le 11 avril 2002, la CIA de concert avec l’establishment militaire et économique du pays, profite d’une série de grèves ─ provoquées par cette même CIA─ dans le secteur pétrolier pour déposer el comandante. Il est arrêté et gardé dans un endroit tenu secret. Un avion de la CIA en provenance de la Floride est affrété pour le cueillir et le sortir du pays. L'homme d'affaires Pedro Carmona, président du syndicat patronal Fedecamaras et proche des Américains, prit le pouvoir quelques heures après.
À la Maison Blanche, on jubile déjà. L’administration Bush, dont certains hauts fonctionnaires avaient reçu à Washington des délégations des futurs putschistes civils et militaires, a immédiatement salué la mise à l’écart d’un dirigeant dont l’indépendance l’ulcérait. Du côté de l’Union européenne, on joue les hypocrites; on ne préfère pas condamner le coup d’État contre un président élu démocratiquement. Après tout, l’Espagne qui assure au moment des faits la présidence de l’Union européenne n’a-t-elle pas encouragé le putsch comme le révélera plus tard le ministre espagnol des Affaires étrangères Miguel Ángel Moratinos? Pis, selon les manuels de l’Union européenne et des États-Unis, la démocratie impose de simplement demander aux nouveaux maîtres des lieux de « créer un cadre démocratique ». On se limitera à cette formule! Le choix du peuple, on s'en moque!
Le coup d’État a été mené de main de maître. Au cœur du dispositif ayant favorisé le putsch : le NED (National Endowment for Democracy), une sorte d’ONG financée par le Congrès. Cet organisme américain est connu pour avoir financé à dessein des coups d’État dans plusieurs régions du globe. C’est sur recommandation de l’ancien patron de la CIA William Casey, que le NED est créé en 1983. Depuis bientôt 30 ans, cette « ONG » américaine sous-traite la partie légale des opérations illégales de la CIA. « Beaucoup de ce que faisait la CIA en secret il y a 25 ans, nous le faisons au grand jour aujourd’hui », s’enorgueillissait sans détour le premier directeur du NED Allen Weinstein. Sans éveiller de soupçons, observe l’ancien fonctionnaire au département d’État William Blunt, le NED a mis en place le plus vaste réseau de corruption du monde, achetant tout sur son passage : syndicats ouvriers et patronaux, partis politiques de gauche et de droite, pour qu’ils défendent les intérêts l’empire américain.
Le 16 décembre 1983, durant la cérémonie organisée à l’occasion de la fondation du NED à la Maison Blanche, le président Ronald Reagan déclara : « Ce programme ne restera pas dans l’ombre. Il s’affirmera avec fierté sous le feu des projecteurs. (...) Et, bien sûr, il sera cohérent avec nos intérêts nationaux. »
Malgré d’importants moyens déployés par le NED, l’Agence américaine pour le développement international (USAID) et la CIA, le coup d’État s’essouffle après 48h, grâce aux actions coordonnées des militaires restés loyaux au comandante et à la mobilisation de centaines de milliers de sympathisants descendus dans les rues de Caracas pour réclamer le retour de leur président. Ce jour-là, nous sommes le 13 avril au soir, un hélicoptère atterrit dans l’enceinte du palais présidentiel; Hugo Chavez descend de l’appareil, accueilli par une foule en liesse et déclare : « Le peuple vient d’écrire une nouvelle page d’histoire. »
À partir de cet instant, les relations avec les États-Unis seront plus que tendues. Le président vénézuélien ne manquera aucune occasion pour décrier l’impérialisme américain. Devant l'Assemblée de l'ONU à New York en 2006, Chavez déclare même, en ciblant Bush: «Hier le diable est venu ici et ce lieu sent encore le soufre.» Du côté américain, on ne resta pas les bras croisés non plus. Les États-Unis multiplièrent des politiques subversives contre Chavez : manipulations, propagandes anti-Chavez, désinformations médiatiques, des sondages bidon... Le NED arrosa une multitude d’ONG dont le rôle consistera à ternir l’image du président vénézuélien en matière de défense de droits de l’homme. Ces Organisations d’un Autre Gouvernement (OAG) seront le fer de lance de la politique subversive états-unienne au Venezuela. Pendant dix ans, tout fut fait pour discréditer le président Chavez aux yeux de l’opinion vénézuélienne et internationale.
L’ONG Transparency International (TI) estima par exemple que le Venezuela était l’un des pays le plus corrompu du monde. En 2008, TI critiqua sévèrement la corruption au sein de l’entreprise PDVSA (Petroleos de Venezuela SA, la société pétrolière publique vénézuélienne), et sur la base d’informations erronées, elle la plaçait en dernière position dans son classement mondial des entreprises publiques. Le but était évidemment de saboter la réputation d’une entreprise qui constitue le socle économique de la politique anti-impérialiste du président Hugo Chavez. Prise en flagrant délit d’intoxication, TI refusa de répondre aux questions de la presse latino-américaine et de corriger son rapport. Pour rappel, Transparency International est une émanation du Centre pour l’entreprise privée internationale (CIPE), un des quatre principaux instituts du NED, se focalisant sur « la diffusion de l’idéologie capitaliste libérale et la lutte contre la corruption. »
Dans cette guerre sournoise des intérêts occidentaux contre Chavez, on assista également à une multitude de procès contre le Venezuela devant des tribunaux étrangers et des institutions de l’impérialisme comme le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) de la Banque mondiale. Plusieurs analystes de la gauche latino-américaine ont fustigé la « mollesse » du président Chavez dans sa politique envers les Institutions Financières Internationales (IFI) ─ autres instruments de l’impérialisme occidental. Gonzalo Gomez du CADTM (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers monde) par exemple, préconisa la rupture avec le CIRDI, comme l’a fait le gouvernement d’Evo Morales ou l’Équateur qui, après avoir mis en place un audit sur la dette du pays, a annoncé qu’il ne paierait plus la partie odieuse de celle-ci.
Il faut dire que malgré l’animosité qui règne entre leader vénézuélien et les dirigeants américains, le Venezuela demeure un partenaire commercial important des États-Unis, premiers acheteurs de l’or noir vénézuélien. La compagnie pétrolière nationale PDVSA possède même trois raffineries, ainsi que des milliers de stations-service chez le « Grand diable ». De plus, la République bolivarienne du Venezuela fournit du mazout aux familles américaines nécessiteuses, par l’intermédiaire d’une ONG fondée par un des fils de Robert Kennedy, Joseph.
Cela dit, les médias occidentaux n’ont cessé de décrire Chavez comme un dirigeant corrompu; des « analystes de salon » cité par le journal El Nuevo Huerald sont allés jusqu’à prétendre qu’« aucun président avant lui ne lui arrive à la cheville en matière de népotisme dans toute l'histoire du Venezuela ». Pourtant, les observateurs les plus sérieux reconnaissent que Hugo Chavez a amélioré considérablement les conditions de vie de son peuple, surtout chez les indigènes et les paysans. Dans une étude d’analyse comparative entre le modèle de réduction de la pauvreté des États-Unis et celui du Venezuela, Eric Draitser fait observer qu’aux États-Unis, « la pauvreté est mesurée seulement par le revenu du foyer, à l’aide d’un certain seuil appelé “seuil de pauvreté” déterminé par le Bureau du Recensement » alors que le Venezuela, « quant à lui, utilise une série de mesures tout à fait différentes pour déterminer la vraie pauvreté comme l’accès à l’éducation, à l’eau potable, au logement etc. Par conséquent la pauvreté au Venezuela n’est pas une question de revenus mais de qualité de vie. » Et d’ajouter : « Tandis qu’aux États-Unis la pauvreté est devenue un gros mot (comme le montre son absence totale des débats de la présidentielle, l’année dernière), Chavez et la Révolution Bolivarienne en ont fait la pièce centrale des politiques publiques dans tous les domaines. »
Il suffit de poser un regard objectif sur la manière dont les choses sont conduites en Occident pour réaliser à quel point certains idéologues du Nord ont perdu contact avec la réalité. Les faits parlent d’eux-mêmes. « Malgré la crise économique mondiale, note Éric Draitser, le gouvernement Chavez continue à développer ses programmes anti-pauvreté comme le logement et la santé, tandis que la plus grande partie du monde soi-disant développé se laisse gagner par l’hystérie générale de l’austérité. La Révolution Bolivarienne s’est donné pour tâche de réduire et finalement d’éradiquer la pauvreté dans un pays où la pauvreté était une tradition historique et une réalité supposément incontournable. Pendant l’ère post-coloniale, le Venezuela a connu la domination et l’oppression des États-Unis et le règne des multinationales pendant que les pauvres et les classes laborieuses vivaient dans la misère. Ce sont les efforts de Chavez pour corriger l’histoire qui l’ont rendu, plus que toute autre chose, si cher au cœur des Vénézuéliens. »
Pourquoi les vampires américains et européens ne le détesteraient-ils pas? Le 5 mars 2013, Hugo Rafael Chávez Frías est déclaré mort. Un cancer dans la région pelvienne, détecté à Cuba en juin 2011, a eu raison du leader bolivarien, après quatre opérations chirurgicales infructueuses.
Des rumeurs sur sa mort se sont multipliées sur la toile. A-t-il été empoisonné? Il y a à peine un peu plus d'un an, le chef de l’État vénézuélien était intervenu à la radio nationale de son pays et avait déclaré : « Je ne sait pas mais...c'est très étrange qu'on ait vu Lugo atteint d'un cancer, Dilma quand elle était candidate, moi, me préparant à une année électorale et il y a peu Lula et maintenant Christina ...c'est très difficile à expliquer même en s'appuyant sur la loi des probabilités ce qui est arrivé à certains dirigeants en Amérique Latine. C'est au minimum très étrange, très étrange. »
Fidel Castro, son « maître à penser », lui-même victime de quelques 635 tentatives d’assassinat avortés de la CIA, avait mis en garde son « fils spirituel» : « Fidel, raconte Chavez, me l’a toujours répété : “Chavez, fait attention; méfie-toi de ces gens qui te collent trop. Regarde, ils ont développé une technologie; fais attention à ce que tu manges, à ce qu’on te donne à manger. Fais attention à la petite aiguille qui t’injecte je ne sais pas quoi... » « Nous n’avons aucun doute, arrivera un moment dans l’Histoire où nous pourrons créer une commission scientifique qui révèlera que le commandant Chavez a été attaqué avec cette maladie » déclara le vice-président vénézuélien Nicolas Maduro.
Chavez nous a quitté mais le travail n’est pas fini. La révolution se poursuit. Hugo Chavez n’est pas mort; il vit en nous...