A qui pourrais-je m’identifier ? Je n’existe ni à la télé, sauf lors de danses folkloriques où je fais semblant d’être un Touareg heureux avec mon faux sabre, ni dans la rue. Je n’existe nulle part. A Alger, des enfants me jettent des pierres, prenant tous les Noirs pour des cordonniers maliens, en transit permanent en attendant rejoindre l’Europe, cet eldorado, qui ne cesse de s’éloigner. Pourquoi un Kahlouche est-il toujours méprisé ? Je cherche toujours des raisons d’être fier… En politique, le FLN envoie toujours quelques notables à l’Assemblée, jamais aux postes de responsabilité. De la figuration, en guise de bonne conscience. Aucun Noir en politique, aucun Noir en sport, aucun Noir ministre, aucun Noir nulle part. Il faut dépasser les Hauts-Plateaux, franchir la ceinture montagneuse qui sépare l’Algérie blanche de celle du Sud. Et quand je dis aucun Noir, je ne pense pas au féminin. C’est pire. Que Hasna El Becharia, la reine du gnawa rock, me pardonne.

Le pouvoir est dans le Nord, le pétrole dans le Sud. Le Nord dépense l’argent du Sud, sa générosité s’arrête au sable du Sahara, pas celui des plages de la côte. Je sais que seule une partie de la population du Nord profite des mannes du pétrole, que l’oligarchie, toujours insatiable, a phagocyté tout le système. C’est peut-être cela l’Algérie démocratique et populaire. A chaque fois qu’on lui accole un adjectif, la démocratie cesse de l’être, un peu, beaucoup. Etre un Noir en Algérie donc, avec des codes tacites, non dits. Un Noir avec une blanche, couple improbable dans la rue algérienne. Regards en biais, phrases inaudibles, remarques étouffées dans la gorge, par ce racisme inassumé. L’égalité ? Quelle égalité quand la rue vous est, perversement, interdite ? Quelle égalité quand le pouvoir, tous les pouvoirs, ivres d’un jacobinisme hérité de l’adversaire d’hier, vous somment de retourner « chez vous », vos études universitaires terminées, grossissant ainsi les cohortes de chômeurs surdiplômés. Chez vous, comprendre, entre vous dans le Sud, jamais le mot « Noir » ne sera prononcé. Chez vous, aussi bien un lieu géographique, qu’un ensemble démographique. Chez vous, ce lieu qui m’est réservé, ainsi qu’aux « miens ».

L’Algérien raciste ? Il ne peut pas même pas dire mais non j’ai des « amis noirs ». Il n’en a pas, il n’a jamais eu l’occasion d’en fréquenter. Le système raciste ? Non, jamais, tout de même ! Ou alors il l’est avec les Kabyles, les Chaouias (aujourd’hui), les démocrates, les qui-ne-pensent-pas-comme-eux, les étranges étrangers de « la famille révolutionnaire », les chômeurs qui expriment leur colère dans la rue… La liste est longue, très longue. Le système a transformé les citoyens en obligés, définition même du népotisme. Et moi, dans tout ça ? Etre Noir en Algérie c’est un peu comme le cousin honteux qu’on cache. Il existe sans exister.