Le racisme
Un bien bel article de Guy Konopnicki, au mois de Janvier, dans l’hebdomadaire "Marianne" :
AVEC DESPROGES, ON POUVAIT RIRE DES JUIFS, ET MÊME DE LA SHOAH
Les défenseurs de Dieudonné font mine de s’étonner. Pourquoi Pierre Desproges n’a-t-il pas encouru les foudres de la censure, lui qui, en son temps, avait osé se moquer des juifs ? La vidéo de ce spectacle, disponible sur YouTube, suffit à faire entendre la différence. Pierre Desproges se rit de certains comportements juifs, tout en ridiculisant l’antisémitisme. Son humour décapant n’altère jamais son humanité, il ne cherche jamais à provoquer la jouissance du spectateur en réveillant ses haines. Il l’interpelle et lui fait partager son inquiétude et sa fragilité. Il se trouve que je faisais partie de ces juifs qui s’étaient glissés dans la salle au premier soir de ce spectacle mémorable. Nous avions deux amis communs que je retrouverai, plus tard, à Marianne…
Odile Grand et Bernard Morrot avaient connu Desproges en jeune journaliste transformant la moindre brève en friandise des mots. Ils l’avaient encouragé à monter sur scène, ce qui n’était pas un mince exploit pour ce grand timide qui ne demandait qu’à disparaître dans le trou du souffleur. Le sketch fameux sur les juifs doit tout à l’amitié de Pierre Desproges et d’Odile Grand. Ils partageaient l’anticonformisme, le vrai, et l’amour des mots. Odile n’avait jamais oublié cette étoile qu’on lui avait imposée, enfant. C’est le titre de ses Mémoires, publiés par Anne Carrière, Couleur citron, côté cœur.
Elle parlait de cette tragédie avec une insolence rare que Desproges lui enviait. Un soir, Bernard Morrot, qui était mon patron, m’ordonna de l’accompagner à un dîner, sur le ton dont il usait pour me fixer la longueur et le délai de remise d’un article. Pas question de discuter. Odile tenait absolument à ma présence. Quand nous arrivâmes à ce rendez-vous dont j’ignorai l’objet, Pierre Desproges était attablé avec Odile Grand, dans un excellent bistrot de la rue Condorcet. Desproges préparait un spectacle, il se demandait s’il pouvait parler des juifs sans être cloué au pilori pour antisémitisme. En fait, j’étais convoqué comme cobaye ! Pierre Desproges entendait rire de tout, même de la souffrance, sans le moindre soupçon de mépris. Rien ne lui était plus étranger que le préjugé et la haine. Il ne supportait pas, non plus, de se sentir exclu par des juifs se réservant le privilège de l’humour sur eux-mêmes. Quelques jours plus tard, sur scène, il démontra avec brio qu’il était capable de faire de l’humour juif. Et, décidément, cela n’avait rien de commun avec les radotages haineux d’un Dieudonné, enfilant sans le moindre humour les poncifs de l’antisémitisme vulgaire. Mais Pierre Desproges était, lui, un humoriste qui s’adressait à l’intelligence et non aux pulsions de bas étage.
Guy Konopnicki.
Réquisitoire contre Siné
Françaises, Français,
Belges, Belges,
Bougnoules,Bougnoules,
Fascistes de droite, Fascistes de gauche,
Mon président, mon chien,
Monsieur l’avocat le plus bas d’Inter,
Mesdames et messieurs les jurés
Public chéri mon amour,
Bonjour ma colère, salut ma hargne et mon courroux… coucou
L’homme qui stagne aujourd’hui sur ce ban de l’infamie où le cul du gratin s’écrasa avant le sien, cet homme, mesdames et messieurs les jurés, ce morne quinquagénaire gorgé de vin rouge et boursouflé d’idées reçues, présente à nos yeux blasés qui en ont tant vu qu’ils sont devenus gris, la particularité singulière, bonjour les pléonasmes, d’être le seul gauchiste d’extrême droite de France.
Xénophobe même avec les étrangers, rebonjour, masquant tant bien que mal un antisémitisme de garçon de bain poujadiste sous le masque ambigu de l’antisionisme propalestinien, misogyne jusqu’à souffler dans sa femme pour économiser sa poupée gonflable, pardon Catherine, plus primaire encore dans son anticommunisme que les asticots moscovites présentement occupés à bouffer Brejnev de l’intérieur, Siné, la baguette sous le bras, et le béret sur la tête comme un Guevara de gouttière va sa vie à petits pas, tel un super Dupont mou, plongeant mollement dans le fluide glacé de son troisième âge.
Suite du Réquisitoire contre Siné
(…) Tel Tino Rossi pétrifié dans le Marinella roucolophonique depuis les accords de Munich, Siné s’est figé depuis deux décennies dans les mêmes petits clichés franchouillards de gauche où s’enlisent encore les laïcs hystériques de l’entre-deux guerres et les bigots soixante-huitards sclérosés que leur presbytie du cortex pousse à croire, contre vents et marées, que le Canard Enchaîné est toujours un journal anarchiste, et le gauchisme encore une impertinence.
En 1963, Siné imitait le corbeau, à l’envol de la moindre soutane. Vingt ans plus tard, Siné continue d’imiter le corbeau à la sortie des presbytères, mais les curés ne portent plus de soutane, et qui c’est qu’a l’air d’un con à faire croa-croa au passage d’un bodygraph?
La constante dans l’œuvre de Siné, mesdames et messieurs les jurés, c’est que cet homme ne connaît pas le doute. De même que Michel Jobert pauvre puce ministrable sait que les Français n’ont pas besoin de magnétoscope, Siné sait que les curés sont tous des salauds. Siné sait que les riches sont tous méchants et cons, et que les pauvres sont tous gentils, et cons. Grâce à quoi il peut se permettre de fourrer le moine Raspoutine et Mère Teresa dans le même sac à corbeaux, ou l’abbé Pierre et le curé d’Uruffe sous la même calotte.
En ce qui me concerne, mesdames et messieurs les jurés, et ce qui me concerne me passionne autant que m’indiffère ce qui vous concerne, c’est vous dire, en ce qui me concerne, j’ai toujours été fasciné par les détenteurs de vérité qui, débarrassés du doute, peuvent se permettre de se jeter tête baissée dans tous les combats que leur dicte la tranquille assurance de leur certitude aveugle. Non-voyante, devrais-je dire. Pardon aux obturés du globe.
Malheureusement, j’ai le regret d’avoir à vous le dire, monsieur Siné, mais cette vertu sereine d’où se dresse quiconque croit détenir LA vérité, cette mâle assurance qui distingue le fort du faible, la bête humaine du Pierrot sentimental et, en un mot, l’homme de l’enfant, cette vertu n’existe pleinement à l’état fonctionnel que chez une seule catégorie d’êtres humains chez qui on l’exige avant de leur confier nos vies et nos frontières, et ces êtres humains, ce sont les militaires.
Vous êtes un militaire, Siné. Vous êtes un sergent. Vous connaissez l’ennemi, tacatacatac, qu’on vous file un tromblon à la place de votre feutre à Mickeys, et tacatacatac, vous allez tuer, détruire, écharper. Vous êtes de ces pacifistes bardés de grenades et de bons sentiments prêts à éventrer quiconque n’est pas pour la non violence.
Que vous le vouliez ou non, quelque chose en vous évoque ces bigots du manichéisme pour qui la guerre de 14-18, c’est la guerre entre les méchants Allemands et les gentils Français. Et non pas, comme l’a dit l’autre jour un petit garçon de 10 ans, dans l’émission de Michel Polac où vous graffitez chaque semaine, « La guerre contre les Allemands et les Français. » (…)
Éditions du Seuil, Tôt ou Tard /
Les Juifs
On me dit que des Juifs se sont glissés dans la salle ?
Vous pouvez rester. N’empêche que.On ne m’ôtera pas de l’idée que, pendant la dernière guerre mondiale, de nombreux juifs ont eu une attitude carrément hostile à l’égard du régime nazi.Il est vrai que les Allemands, de leur côté, cachaient mal une certaine antipathie à l’égard des juifs.
Ce n’était pas une raison pour exacerber cette antipathie en arborant une étoile à sa veste pour bien montrer qu’on n’est pas n’importe qui, qu’on est le peuple élu, et pourquoi j’irais pointer au vélodrome d’hiver, et qu’est-ce que c’est que ce wagon sans banquette, et j’irai aux douches si je veux… Quelle suffisance !
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je n’ai personnellement aucune animosité particulière contre ces gens-là.Bien au contraire. Je suis fier d’être citoyen de ce beau pays de France où les juifs courent toujours.
Je sais faire la part des choses. Je me méfie des rumeurs malveillantes. Quand on me dit que si les juifs allaient en si grand nombre à Auschwitz, c’est parce que c’était gratuit, je pouffe.
Textes de scène / Editions du Seuil, Tôt ou tard /
Les références de Pierre...
Dessin : Mahi Grand (http://mahigrand.net/)
« Les racistes sont des gens qui se trompent de colère. »
Léopold Sédar Senghor
«Moins le Blanc est intelligent, plus le Noir lui paraît bête.»
André Gide
«Le patriotisme, c’est l’amour des siens. Le nationalisme, c’est la haine des autres.»
Romain Gary
«Le jour où moi, juif, je serai traité de con, je saurai que c’est la fin de l’antisémitisme.»
Pierre Dac
« Il y a de plus en plus d’étrangers dans le monde.»
Luis Régo
Peut-on rire de tout, peut-on rire avec tout le monde ?
A la première question, je répondrais oui sans hésiter, et je répondrais même oui, sans les avoir consultés, pour mes coreligionnaires en subversions radiophoniques, Luis Rego et Claude Villers.
S’il est vrai que l’humour est la politesse du désespoir, s’il est vrai que le rire, sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, s’il est vrai que ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors oui, on peut rire de tout, on doit rire de tout. De la guerre, de la misère et de la mort. Au reste, est-ce qu’elle se gêne, elle, la mort, pour se rire de nous ? Est-ce qu’elle ne pratique pas l’humour noir, elle, la mort ? Regardons s’agiter ces malheureux dans les usines, regardons gigoter ces hommes puissants boursouflés de leur importance, qui vivent à cent à l’heure. Ils se battent, ils courent, ils caracolent derrière leur vie, et tout d’un coup ça s’arrête, sans plus de raison que ça n’avait commencé, et le militant de base, le pompeux P.D. G., la princesse d’opérette, l’enfant qui jouait à la marelle dans les caniveaux de Beyrouth, toi aussi à qui je pense et qui a cru en Dieu jusqu’au bout de ton cancer, tous, tous nous sommes fauchés un jour par le croche-pied rigolard de la mort imbécile, et les droits de l’homme s’effacent devant les droits de l’asticot.
Réquisitoire contre Le Pen / Éditions du Seuil, Tôt ou Tard /
Les rues de Paris ne sont plus sûres
Les rues de Paris ne sont plus sûres.
Dans certains quartiers chauds de la capitale, les Arabes n’osent plus sortir tout seul le soir.
Tenez, mon nouvel épicier, M. Rachid Cherquaoui, s’est fait agresser la nuit dernière dans le XVIIIé.
J’aime bien M. Rachid Cherquaoui.
Il est arrivé dans le quartier il y a six mois.
Il venait de racheter le fonds de commerce de M. et Mme Lefranc qui périclitait.
Il faut dire que, pendant les heures d’ouverture de l’épicerie, Mme Lefranc se faisait pétrir par le boulanger.
Tandis que M. Lefranc en profitait pour aller boucher la bouchère.
Le reste du temps l’épicier se ratatinait sur des enfilades de ballons de muscadet, au Rendez-vous montmartrois de la rue Caulaincourt, en compagnie de M. Leroy, le boucher.
Les deux hommes s’estimaient mutuellement.
Outre qu’ils vaquaient aux mêmes trous, ils avaient en commun une certaine idée de la France faite à la fois de fierté municipale, de foie régional et de front national.
Théâtre Grévin / Éditions du Seuil, Tôt ou Tard /
Desproges vu par Philippe Meyer :
Pierre Desproges n’aimait pas les enfants. Ni les femmes. Ni les hommes. Ni les Auvergnats. Comment aurait-il pu ? Il savait d’expérience qu’il existe des enfants avares, des femmes lâches, des hommes garces et des Auvergnats capricieux. Pierre Desproges était un être singulier. Je ne veux pas seulement dire qu’il ne ressemblait à personne, mais aussi qu’il pensait, sentait, aimait, rejetait au cas par cas. Il n’était pas antiraciste. Il était a-raciste. (Pour ceux et celles qui auraient fait leurs études sous Jack Lang, le a- de a-raciste vient de l’alpha privatif grec et signifie l’absence).
« Le pluriel ne vaut rien à l’homme », chantait son cher Brassens. C’est l’une des rares choses dont Pierre était sûr, lui qui cultivait le doute et qui abominait ceux qui moulinaient des certitudes. On regrettera vivement que sa veuve et ses orphelines n’aient pas pensé, lors de l’autopsie, à faire vérifier que l’incapacité congénitale de leur seigneur et maître à penser par catégories ne venait pas d’une particularité physiologique rare, d’un gène peu répandu ou de l’excroissance de telle ou telle glande. On aurait pu tenter une greffe, réaliser une transplantation d’organe,entreprendre une manipulation génétique. L’incapacité congénitale à penser par catégories dont était atteint Desproges est, en effet, d’une rareté proportionnelle à son utilité et même à sa nécessité. Surtout ces temps-ci.
Pierre Desproges particularisait. Ceux qui généralisent lui foutaient les jetons. C’est pourquoi il leur envoyait des flèches. Il en envoya une bordée à Anne Sinclair lorsqu’elle déclara qu’elle n’aurait pas pu aimer Ivan Levaï s’il n’avait pas été juif. Il entendait qu’Ivan Levaï puisse être ou devenir arabe, peau-rouge ou costarmoricain sans avoir à renoncer à l’amour d’Anne Sinclair. La pensée d’un monde où l’on se promènerait en fonction de son étiquette lui mettait la rate au court-bouillon. Et, comme il avait gardé de la culture limougeaude dont il était issu (la culture, pas la race) un réflexe de méfiance, il soupçonnait que, derrière la pensée par catégories, il y avait quelques manipulations qui profitaient à des profiteurs. Derrière les jeunophiles, il flairait l’avidité des marchands de marchandises. Bien avant la presse et les juges d’instruction, il avait observé parmi les amis auto-proclamés du genre humain des aigrefins ivres d’amour d’eux-mêmes, de goût de l’argent et du pouvoir. Parmi ceux-là, il avait repéré des antiracistes professionnels faisant carrière sur l’exhibition de leur belle âme. C’est qu’il avait l’œil, Pierre Desproges, et, comme je viens d’avoir l’honneur de vous le dire, un œil qui faisait le détail. Ce n’est que l’une des raisons pour lesquelles il nous manque.
Philippe Meyer /
Desproges s’explique…
Je ne ris que des choses qui ne font pas rire, que des choses graves, entre autre, le racisme. Pris au premier degré, ça peut faire de la peine.
Europe 1 « Les N°1 de demain »
Une émission d’Olivier de Rincquesen
Bedos est l’honnête homme du musical. Je l’ai toujours aimé depuis que je l’ai vu avec Sophie Daumier. La seule chose que je regrette un peu, c’est qu’il soit engagé politiquement, sur une voie de garage. Il serait encore plus fort s’il se débarrassait de ça.
Mais il croit qu’il est de gauche. Moi je suis sûr de ne pas être de droite. C’est toute notre différence.
Catherine Degan, Le Soir, 28 novembre 84
Comment vis-tu l’intégrisme religieux ?
Oh ! là là. Ça me fait peur. Déjà la CGT qui manifeste dans la rue, j’ai peur, alors tu penses les mollahs…
La seule certitude que j’ai c’est d’être dans le doute
Entretien avec Yves Riou et Philippe Pouchain
Éditions du Seuil