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LE PANAFRICANISME NOUVEAU
6 juillet 2015

PANAFRICANISME: D’Amilcar Cabral à Thomas Sankara

cabral and child

Plus de vingt ans que le frère et camarade Thomas Sankara nous quittait dans des conditions tragiques et pénibles. Vingt ans au cours desquels les peuples africains ont du mal à se remettre du traumatisme psychologique qu’une telle expérience a généré.

Le 15 octobre 1987, alors qu’il se rendait à une réunion du conseil de l’entente, il fut sauvagement assassiné. Depuis lors, le régime compradore de Blaise Compaoré a réinstauré en terre Burkinabé les mécanismes d’un développement de type néo-colonial, c’est à dire complètement subordonné aux intérêts des puissances impérialistes occidentales.
Pour avoir été l’un des premiers à jeter les bases d’une tentative réelle de déconnections du système mondial dans l’ère post-indépendance, Sankara incarnait la continuité et la mise en application dans les conditions spécifiques du Burkina Fasso, de la pensée d’un des révolutionnaires les plus éminents que l’humanité ait connu en cette fin de siècle : Amilcar Cabral.
Tout comme Sankara, Cabral nous quittait le 13 janvier 1973 dans des conditions similaires au premier. Pendant seize ans, jour pour jour, il a consacré sa vie à la libération des peuples de Guinée Bissau et des îles du Cap-Vert. Seize longues années au cours desquelles, il réussit à la tête du PAIGC (Parti Africain de l’Indépendance de Guinée Bissau et des îles du Cap-Vert) à libérer les deux tiers du territoire national du joug colonial.

Malgré la présence de 30 000 militaires portugais, tentant de maintenir en vain ce qui évoluait inévitablement vers l’accession à l’indépendance politique, la pertinence du projet politique de Cabral finit par prendre le dessus sur la répression. A l’heure ou le système capitaliste mondial amorce une nouvelle phase de redéploiement à l’échelon mondial, que les damnés de la terre reformulent leurs aspirations et stratégies dans une situation de vide idéologique créé par la destruction du soit disant bloc Socialiste, une réactualisation de la pensée d’Amilcar Cabral s’avère plus qu’indispensable. C’est ce à quoi nous tenterons à travers cette minime contribution dédiée à la cause de la Révolution Panafricaine.

Pour bien cerner la pensée et praxis de Cabral, il est nécessaire de situer l’analyse de celle-ci au sein du contexte historique (social, économique et politique) dont il fût le produit.

Contexte historique

La Guinée Bissau est un pays de 40 000 km2 avec une population estimée à 500 000 habitants en 1960. Insérée sur la côte Ouest du continent entre le Sénégal au nord, la Guinée au sud et de l’océan atlantique à l’ouest, elle fait face au Brésil (dont elle est séparée par l’Océan Atlantique) ou furent déportés probablement une grande partie de sa population au cours de la période esclavagiste.
L’impact du commerce triangulaire se fait sentir à nos jours sur la faible densité de population dans la sous région. L’île de Gorée, située au large de Dakar (capitale du Sénégal) fut la base d’embarquement pour des millions d’Africains (hommes, femmes et enfants) pour un voyage sans retour possible. Cette première expérience douloureuse et tragique résultant du contact entre les populations africaines et le Portugal initie un processus de résistance qui allait déboucher après quatre cents ans plus tard à la première tentative organisée à l’échelon national contre la main mise de l’impérialisme occidental (principalement Euro-Americain) sur les ressources matérielles et humaines du pays.
Entre temps, la conférence de Berlin a officialisé en 1885, le partage du continent en différentes zones d’influence attribuées aux puissances colonialistes européennes, notamment France, Angleterre, Portugal etc. En 1703, avec l’accord de Metwen, l’Angleterre, dans le but de freiner l’expansion française dans la sous région, appuie les ambitions coloniales du Portugal (devenu une sorte de semi-colonie britannique) sur la Guinée-Bissau et les îles du Cap-Vert. Devenu inopérationnel, le commerce triangulaire fût ainsi remplacé par le colonialisme qui allait durer jusqu’à la proclamation des Etats indépendants de Guinée Bissau et des îles du Cap-Vert le 24 septembre 1973.
Le Portugal, pays économiquement retardé et culturellement arriéré (plus 50% de la population est analphabète en 1965), héritant également du Mozambique, de l’Angola et des îles de Sao-Tomé et Principe, allait perpétuer l’un des crimes les plus odieux que l’humanité ait connu depuis la seconde guerre mondiale. Au début des années 50, la situation en Guinée-Bissau et dans les îles est tout simplement catastrophique. Avec une économie coloniale principalement basée sur la mono-culture de l’arachide, une famine aggravée par un phénomène de sècheresse de plus en plus cyclique, décime les îles du Cap-Vert (10 000 morts entre 1958 et 1959). Les populations désespérées, prennent le chemin de l’exode vers les pays frontaliers. Des milliers d’adultes sont recrutés par l’administration coloniale pour aller travailler dans les plantations en Angola en tant que travailleurs migrants, dans des conditions proches de l’esclavage. Le pays, dépourvu d’infrastructures sociales même à l’état embryonnaire, est au bord de l’explosion. L’imposition par l’administration coloniale de la mono-cullture de l’arachide sur les populations paysannes aggrave le phénomène de sous production de denrées de première nécessité avec toutes les conséquences induites : malnutrition, carence en vitamines etc. L’espérance de vie a l’époque est de 30 ans.

Les conditions objectives permettant une mobilisation effective des masses populaires étaient dès lors en place bien avant le déclenchement des hostilités entre les forces nationalistes et le colonialisme portugais. Dans ces conditions, l’administration portugaise, bien qu’ayant su se subordonner quelques chefferies traditionnelles et quelques segments de la petite bourgeoisie, a de plus en plus mal à maintenir le taux d’exploitation ultérieur basé principalement sur un système de sur-taxation des masses paysannes, et de la sur-exploitation de la minuscule classe ouvrière des centres urbains. La résistance des peuples africains fût un phénomène ininterrompu tout au long de leur contact avec l’impérialisme, comme le témoignent les révoltes organisées par les différents groupes ethniques (balantes, mandjaks, pepels, etc.).

Cette résistance populaire ne peut prendre fin qu’avec la liquidation physique du peuple opprimé en question. C’est une lutte de vie ou de mort entre deux forces antagonistes en conflit permanent : l’oppresseur et l’opprimé. C’est une lutte totale, prenant des formes variées (refus de payer les impôts, résistance passive, lutte armée) selon le niveau de contradiction, et se poursuit jusqu’à la disparition d’une des forces en conflit. Les caractéristiques de cette lutte sont entièrement déterminées par les conditions historiques du milieu dans lequel le conflit a lieu. La période dite de « pacification » ne prit fin qu’au début du 19ème siècle, période à partir de laquelle le Portugal arrive finalement à jouir d’un contrôle plus ou moins effectif sur le territoire national. Ceci ne dura pas longtemps.

En 1957, une grève organisée par les ouvriers du port de Pidjiguitty, est noyée dans le sang par les forces armées Portugaises. Bilan : 50 morts et plus de 300 blessés. Cette intensification de la répression enclenche une nouvelle dynamique entre les forces nationalistes et le colonialisme portugais qui débouche sur les premières attaques armées du mouvement de libération nationale sous la direction de Cabral et du PAIGC le 23 janvier 1963. A cette étape du développement de la résistance des peuples Africains, les forces nationalistes arrivent à la conclusion que seul le pouvoir des armes arrivera à jeter à l’océan le colonialisme portugais. C’est dans ce contexte historique, matérialisant une fois de plus la dialectique entre oppression et résistance qu’il faut saisir l’émergence sur la scène d’Amilcar Cabral en tant qu’incarnation des aspirations des peuples de Guinée-Bissau et des îles du Cap-Vert.
Il réussit tout au long de sa courte vie à articuler mieux que tout autre l’aspiration de ses peuples à recouvrir leurs droits fondamentaux. Droit à vivre dans le respect, la dignité et la paix, à l’abri de toute forme d’oppression et d’exploitation d’où qu’elle vienne. Amilcar Cabral : Un Révolutionnaire Panafricaniste.

Amilcar Cabral est né le 12 septembre 1924. Son père, instituteur de profession est originaire des îles du Cap-Vert, tandis que sa mère (comme des millions de femmes africaines a l’époque et aujourd’hui) cumulait plusieurs activités pour venir à bout des besoins de la famille. Issu de ce que l’on pourrait appeler la classe moyenne dans le contexte colonial, Cabral eut la chance d’avoir accès à une éducation de type occidental à travers une école de missionnaires située à Bissau. Après avoir terminé ses études secondaires, il débarque à Lisbonne au cours de la même année pour poursuivre des études en agronomie. Là, il fît la connaissance d’autres étudiants originaires des colonies portugaises (Angola, Mozambique). Cette période est marquée par la consolidation du régime fasciste de Salazar au Portugal. Des pans entiers de la société portugaise, meurtrie sous la pauvreté et la répression militaire, émigrent vers la France, l’Espagne et l’Italie, en quête d’une vie meilleure. En l’absence d’un espace d’expression politique, la lutte anti-fasciste prît rapidement refuge au niveau des campus universitaires. C’est dans cette atmosphère que Cabral, impliqué dans le mouvement étudiant, se familiarise à travers la pratique de la lutte contre le fascisme, avec certaines théories révolutionnaires de cette fin de siècle.
La deuxième guerre mondiale, résultante des contradictions inhérentes au développement du système capitaliste mondial, va affecter profondément la conscience des peuples colonisés à travers le globe. En Europe, la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire Francophone) et la maison d’édition Présence Africaine tout comme IASB (l’International African Service Bureau basé en Angleterre) dirigé par George Padmore (en collaboration avec Kwame Nkrumah et C.L.R James) agitent de plus en plus autour de la question de décolonisation des peuples Africains. Padmore venait juste de couper les ponts avec la troisième internationale socialiste qui suggérait de focaliser la lutte contre  » les puissances impérialistes fascistes  » (Italie, Allemagne, Japon) et non contre les puissances impérialistes « démocratiques » (France, Angleterre etc.).
On ne peut être plus stupide, d’autant plus que ces soi-disant puissances dites impérialistes fascistes n’avaient pas de colonies en Afrique après la seconde guerre mondiale. La tenue en 1945 du congrès Panafricain à Manchester, inaugure une étape qualitativement nouvelle dans la phase de mobilisation pour la lutte d’autodétermination. A la même période à Lisbonne, Cabral et ses amis (Agosthino Neto, Mario De Andrade etc. ) sentent de plus en plus la nécessité de créer des organisations indépendantes hors de contrôle de la gauche Euro-centrique, regroupant les ressortissants des colonies lusophones. C’est dans ce contexte que Cabral et ses amis commencent le processus de leur propre éducation politique en vue de la lutte de libération nationale. Influencés par l’émergence de la littérature négro-Africaine, ils sont convaincus du caractère inévitable d’un mouvement de « retour aux sources » pour entrer en complète symbiose avec les aspirations profondes des peuples africains. Comme l’a illustré plus tard Cabral, je cite « Notre travail a consisté alors à rechercher de nouveau nos racines africaines. Et cela a été si merveilleux, si utile et lourd de conséquences qu’aujourd’hui encore les fondateurs de ce groupe sont tous dirigeants des mouvements de libération dans les colonies portugaises. ».
Pour eux, le retour aux sources constitue une des préconditions pour une alliance effective entre la petite bourgeoisie intellectuelle et les masses populaires africaines. Ses études universitaires achevées (1949-1950), Cabral décide de rentrer en Guinée Bissau avec une claire idée en tête, contribuer à la libération de son peuple. Comme il le dit lui-même «».

Cette longue citation dénote non seulement un haut niveau de conscience politique chez Cabral, mais également une vision claire de ce qu’il veut entreprendre. Cependant, une chose est d’identifier un projet politique, une autre est de bien cerner le terrain social à travers lequel la lutte va se mener, avec quels moyens, quelles tactiques et stratégies, quelles méthodes etc.

Le succès de la lutte de libération nationale nécessite non seulement une compréhension approfondie des mécanismes d’asservissement utilisés contre les masses exploitées, mais plus encore une stratégie susceptible de bouleverser les rapports de force existants entre l’oppresseur et les opprimés, l’adoption de stratégies adéquates à des moments déterminés, dans un contexte social spécifique, lesquelles stratégies doivent être basées sur les réalités concrètes du peuple dominé. C’est ce à quoi Cabral a consacré le reste de sa vie. La profondeur de sa pensée politique alliée à sa pratique basée sur les conditions objectives de la Guinée Bissau et des îles du Cap Vert, font de lui l’un des plus grands théoriciens de la lutte anti-impérialiste, au service de la libération des peuples africains et du monde en général.

Bibliographie pour aller plus loin :

  • Le pouvoir des armes. François Maspero, Paris 1970• Return to the Source: African Information Service New York 1973
  • Combattant pour la cause du peuple: Agence de presse Novosti Moscou – 1973• Unité et Lutte Volume II: La pratique Révolutionnaire. François Maspero Paris 1975• Unité et Lutte Volume I: Edition François Maspero Paris 1980
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  • Le Panafricanisme est une idée politique et un mouvement qui promeuvent et encouragent la pratique de la solidarité entre les africains où qu'ils soient dans le monde. Le panafricanisme est à la fois une vision sociale, culturelle et politique d'émancipati
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