Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE PANAFRICANISME NOUVEAU
2 juin 2014

Zombie”, brûlot anti-militariste du sorcier Fela

Zombie”, brûlot anti-militariste du sorcier Fela

HISTOIRES DE MUSIQUES NOIRES #7 | En 1977, Fela met le feu aux poudres au Nigéria en chantant “Zombie”. Lui et les siens subissent de cuisantes représailles. Celui qui passera sa vie à provoquer, à résister en chansons, reste aujourd’hui considéré comme le roi de l’afrobeat.

Le 23/05/2014 à 12h45 
Anne Berthod

Fela KutiFela Kuti - © Goudeneiche/SIPA

I feel like going home, de Muddy WatersI got a woman, de Ray Charles, ou encore War, de Bob Marley… Dans la continuité de l'expo « Great Black Music », à la Cité de la Musique, qui rassemble jusqu'en août cinquante ans de musiques noires, Télérama.fr vous raconte chaque semaine l'histoire d'une chanson qui a traversé les générations.
>Toutes nos histoires de musiques noires


Ecoutez la playlist Zombie.

Vous pouvez passer un titre en appuyant sur >I

Le 18 février 1977, un millier de soldats nigérians se masse dans les rues de Lagos. Armés jusqu’aux dents, ils se préparent à donner l’assaut de Kalakuta Republic, l’Etat auto-proclamé par Fela Kuti en 1974 : un quartier entièrement clôturé aux allures de forteresse, où le chanteur rebelle vit retranché avec sa famille et tous ses fidèles. Ce n’est pas la première fois que ce fort en gueule, artiste ouvertement politisé, a maille à partir avec les autorités.

Concocté dans l’exil anglais, son cocktail afrobeat, mélange explosif de rythmes yorubas, de highlife, de jazz cuivré et de funk psyché, portait déjà les ferments de la révolte. Mais, depuis sa tournée aux Etats-Unis en 1969 et sa rencontre avec des membres des Black Panthers, le sorcier Fela, qui a baptisé son groupe Africa 70, a corsé son propos africaniste militant de paroles sarcastiques contre la dictature militaire.

Dans ce pays en plein boom pétrolier, marqué par un exode rural massif et fracturé entre une élite corrompue et des millions de nouveaux urbains agglutinés dans la misère des faubourgs, Fela est devenu le porte-parole des exclus et des laissés-pour-compte. Chaque semaine, ses concerts incandescents ponctués de prêches virulents galvanisent des milliers de jeunes Nigérians venus l’écouter au Shrine, son night-club privé.

Evidemment, Fela dérange le pouvoir. Harcelé par les autorités, il ne compte plus les descentes policières, les bastonnades et les séjours en prison (notamment pour détention de cannabis et détournement de mineures). Pas de quoi calmer sa rage inextinguible, au contraire… Au début du mois de février 1977, l’agitateur a récidivé. Boycottant le très officiel Festival mondial des arts nègres, organisé à Lagos, iI a chanté, lors d’un concert gratuit organisé en marge de la rencontre, le très satyriqueZombie : douze minutes-fleuves d’un groove hypnotique calqué sur la transe vaudoue, qui swingue comme jamais, entre congas tribales, funk moite et jazz post bop percutant.

“Le zombie ne pense que 
si on lui dit de penser.”

Ce nouveau brûlot anti-militariste, chanson-titre d’un album éponyme considéré aujourd’hui comme la quintessence de l’afrobeat de Fela, frappe les oreilles autant que les esprits. « Le zombie n’avance que si on lui dit d’avancer, le zombie ne s’arrête que si on lui dit de stopper, le zombie ne pense que si on lui dit de penser, (…) Oh zombie ! “Va et tue ! Va et meurs ! (…) Attention, zombie ! Au pas ! Au trot ! A gauche ! A droite ! Repos ! A terre ! » Chantés en pidgin, cet anglais dialectal mâtiné de Yoruba parlé par le petit peuple, repris en boucle par des chœurs frénétiques, les mots ravageurs scandés par Fela disent tout son mépris pour l’obéissance aveugle de ces robots-soldats décérébrés.

C’est cette chanson qui a mis le feu aux poudres et provoqué le siège de la Kalakuta Républic, cette maudite enclave d’irréductibles qui nargue encore et encore l’envahisseur en uniforme : humiliée publiquement, l’armée entend cette fois éradiquer définitivement le fief du clan Kuti. Le premier prétexte est le bon. Officiellement, les policiers qui se présentent aux portes de Kalakuta, ce funeste 18 février, recherchent le jeune Femi.

Encore adolescent, le fils de Fela a été interpellé un peu plus tôt au volant d’une voiture dans les rues de Lagos et les Fela’s boys qui l’accompagnaient auraient alors agressé des policiers. En l’absence de mandat, le maître des lieux refuse de leur ouvrir et active la clôture électrifiée. Des policiers prennent le jus. Aussitôt, les mille soldats embusqués déferlent sur Kalakuta, brisent ses remparts et commencent leur mise à sac. Tous les enregistrements de Fela sont brûlés, le studio de musique et le dispensaire de son frère, le Docteur Béko Kuti, sont rasés… Pire, l’expédition punitive vire au carnage : des femmes sont violées, Fela et son frère sont violemment molestés et leur mère, Funmilayo Ransome-Kuti, âgée de 77 ans, est défenestrée. Cette grande figure du panafricanisme, militante célèbre pour sa lutte anti-coloniale, mourra de ses blessures quelques mois plus tard. Béko, lui, finira sur une chaise roulante.

Onde de choc

Fela portera plainte, mais l’enquête officielle imputera le massacre à un unique soldat inconnu. Et le chanteur dissident dénoncera la mascarade, comme à son habitude, en chanson, avec l’acerbe Unknown Soldier. Toutefois, l’effet produit sera sans mesure avec l’onde de choc provoquée par Zombie. En octobre 1977, Fela, privé de domicile (il s’est installé à l’hôtel) et toujours dans le collimateur du général Obasanjo, s’exile avec les siens au Ghana. Seulement voilà : dans ce pays voisin, la junte militaire du Général Acheampong n’est guère plus populaire qu’au Nigéria.

Invité à se produire dans le stade d’Accra, Fela entonne « Zombie ! Oh ! Zombie! » et embrase la foule. Après le concert, des manifestations éclatent dans les rues d’Accra, où les étudiants défilent en chantant Zombie : spontanément, ils ont fait de la diatribe burlesque leur cri de ralliement contre le dictateur ghanéen. Fela, accusé d’avoir soutenu la révolte, est jeté derrière les barreaux avec les soixante-dix membres de son clan, puis expulsé du pays.

De retour chez lui, au Nigéria, il épouse, en février 1978, les vingt-sept femmes de son groupe au cours d’une cérémonie traditionnelle : une façon retentissante de proclamer son attachement à la culture africaine, mais aussi de célébrer, avec l’outrance qu’on lui connaît, le triste anniversaire du pillage de Kalakuta. Ce ne sera pas le dernier coup d’éclat du sulfureux roi de l’afrobeat.

Bientôt candidat à l’élection présidentielle, Fela sera de nouveau harcelé, brutalisé, emprisonné… Jusqu’à sa mort en 1997, l’élite nigériane tentera de le faire taire. En vain. Car lui, usant de sa musique comme d’une arme et porté par son aura internationale, rétorquera toujours par un nouveau brûlot, avec ce don incendiaire d’appuyer là où ça fait mal. Le « black president » n’aura jamais remporté la bataille des urnes, mais il aura gagné la guerre des mots. Et Zombie aura été sa première victoire.



Publicité
Publicité
Commentaires
LE PANAFRICANISME NOUVEAU
  • Le Panafricanisme est une idée politique et un mouvement qui promeuvent et encouragent la pratique de la solidarité entre les africains où qu'ils soient dans le monde. Le panafricanisme est à la fois une vision sociale, culturelle et politique d'émancipati
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Visiteurs
Depuis la création 150 120
Publicité