Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE PANAFRICANISME NOUVEAU
5 avril 2014

MAURITANIE:COUAC AU DIALOGUE

Couac au dialogue

Mohamed Fall Oumeir - A peine ouverte, la première session du dialogue entre les pôles politiques mauritaniens se referme sur une atmosphère d’incompréhension et de rejet. Le Forum national pour la démocratie et l’unité a prétexté l’absence du gouvernement pour refuser de venir au premier round. Puis le ministre de la communication a été envoyé ouvrir les négociations.

Son retrait juste après son mot d’introduction a été un nouveau prétexte pour les représentants du FNDU pour se retirer. Ils ont considéré qu’il s’agissait là d’un manque de considération, peut-être d’une «preuve de mauvaise volonté de la part du gouvernement».

Il est vrai que le ministre aurait pu attendre la réponse solennelle des représentants du FNDU, quitte à se retirer ensuite. Comme il est vrai qu’il s’agissait d’une séance d’ouverture d’un round destiné à élaborer un ordre du jour pour «passer aux choses sérieuses» avec d’autres vis-à-vis et dans d’autres circonstances. Tout ça est léger, n’est-ce pas ?

Le jeu qui se déroule devant nous cache (mal) les défis qui sont lancés à chacun des protagonistes qui savent qu’il s’agit là d’une occasion pour eux.

Pour le Président Mohamed Ould Abdel Aziz, il s’agit de s’assurer de la présence dans la course de candidats de poids (ou non) à même de légitimer l’élection et d’éviter au mandat prochain d’être vicié à la naissance. Il sait que personne ne menace son pouvoir et qu’il peut ouvrir le jeu comme il se doit sans risquer grand-chose. Il est prêt donc à faire toutes les concessions qu’il faut et qui pourraient être demandées dans le cadre d’une élection.

Même s’il ne peut pas reculer les dates et même s’il refuse à constituer un gouvernement d’union, il reste visiblement ouvert à toutes les autres perspectives (CENI, audit de la liste électorale…). Mais son personnel est-il au même degré de conscience des enjeux, surtout au même niveau de confiance ? Pour le FNDU, la perspective d’un candidat unique est impossible à envisager et a d’ailleurs été abandonnée lors du lancement du forum.

Il reste que l’élection future constitue une voie de retour pour les principaux partis de l’opposition radicale, ceux qui avaient boycotté les législatives et municipales et subissent aujourd’hui les conséquences néfastes d’un tel positionnement.

C’est le cas de l’Union des forces du progrès (UFP) et du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), les deux plus grands (et plus significatifs) de l’ensemble. Pour ces partis, la mise en route de plusieurs candidats peut mettre en danger le candidat Ould Abdel Aziz, quitte à se retrouver plus tard, dans un second tour qui pourrait être décisif pour toutes les parties.

Il y a donc quelque chose à jouer dans la participation. Surtout qu’il n’y a rien en perspective dans le positionnement actuel qui les met hors-jeu. S’ils peuvent par exemple imposer l’idée d’une reprise des élections législatives et municipales, ce sera pour ces partis l’occasion de revenir dans le jeu.

C’est déjà ça de gagné. Mais, les divergences tactiques et les «intérêts égoïstes» peuvent-ils attendre ? La CAP est un peu l’arbitre dans le jeu. C’est elle qui va faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre, en apportant son soutien à l’une ou l’autre des positions. 

On sait que la CAP a déjà mené le même exercice avec la Majorité et qu’elle en est sortie avec des réformes fondamentales qui ont été à la base du système politique qui a permis les dernières élections. Elle peut imposer aux deux parties le retour aux accords de 2012 pour les enrichir par de nouvelles propositions. Ce qui permettra la recomposition de la CENI, le renforcement de son rôle et de son indépendance.

On peut – et on doit – rester optimiste parce que chaque partie est convaincue de l’utilité pour elle de faire aboutir le processus actuel. Les politiques finiront par trouver la voie. On l’espère du moins. 

Publicité
Publicité
5 avril 2014

Mauritanie : l'opposition menace de boycotter l'élection présidentielle

Le chef de l'opposition mauritanienne Ahmed Ould Daddah à Nouakchott le 3 mai 2012.
Le chef de l'opposition mauritanienne Ahmed Ould Daddah à Nouakchott le 3 mai 2012. © AFP

L'opposition mauritanienne ne participera pas à l'élection présidentielle prévue cette année en Mauritanie, à une date non encore fixée, si les conditions de transparence ne sont pas réunies, a affirmé vendredi lors d'un forum son chef, Ahmed Ould Daddah.

"Il faudra parvenir à une stratégie consensuelle qui garantirait la transparence et l'équité durant la prochaine présidentielle, sinon il n'y aura ni élection, ni participation" de l'opposition, a déclaré M. Ould Daddah à l'ouverture du "Forum de la démocratie et de l'unité" qui se tiendra jusqu'à dimanche à l'initiative de l'opposition.

Pour participer au prochain scrutin, l'opposition exige "une supervision politique crédible, la mise en place d'organes électoraux fiables et une préparation technique suffisante", a énuméré Ahmed Ould Daddah, chef du Rassemblement des forces démocratiques (RFD).

Ce point constituera l'une des questions "essentielles" à l'ordre du jour du forum, qui réunit des partis de l'opposition dont ceux de la Coordination de l'opposition démocratique (COD) ayant boycotté les élections législatives et municipales tenues en novembre-décembre 2013, après l'échec de pourparlers avec la majorité présidentielle.

La rencontre enregistre également la participation du parti islamiste Tewassoul, membre de la COD mais qui, lui, n'avait pas boycotté ces scrutins et est devenu la première formation d'opposition à l'Assemblée nationale.

Le forum regroupe aussi des organisations de la société civile, de jeunes et des syndicats proches de l'opposition. Il a cependant été boycotté par trois autres partis d'opposition formant la Coordination pour une alternance pacifique (CAP).En plus des conditions de participation à la présidentielle, le forum discutera également de la recherche de consensus sur de "grands défis" comme l'unité nationale et l'esclavage ainsi que de la création d'un cadre de réflexion permanent pour l'avenir du pays, ont indiqué ses organisateurs.

La question d'un candidat unique de l'opposition, évoquée ces derniers jours par des responsables opposants, ne sera cependant pas abordée, a précisé à l'AFP le porte-parole du forum, Saleh Ould Hanenna.

Ahmed Ould Daddah, qui a été très critique dans son discours envers le régime du président Mohamed Ould Abdel Aziz, a cependant affirmé que l'opposition est "disposée à tout dialogue véritable et responsable" avec le pouvoir pour sortir de "la crise politique dans laquelle se débat le pays".

Le gouvernement s'est déclaré prêt à entamer des concertations avec l'opposition pour parvenir à un consensus national sur la présidentielle, avait récemment indiqué le négociateur principal de l'opposition, Mohamed Ould Moloud, à l'issue d'une audience avec le Premier ministre Moulaye Ould Mohamed Laghdaf.

Le président Mohamed Ould Abdel Aziz, un ancien général arrivé au pouvoir par un coup d'Etat en août 2008, avait été élu un an après pour un mandat de cinq ans lors d'un scrutin contesté par l'opposition. Sauf énorme surprise, il devrait être candidat à sa propre succession lors de la prochaine présidentielle.



Lire l'article sur Jeuneafrique.com 

4 avril 2014

Togo, élections législatives : lettre ouverte à Mme Ashton Catherine et M. Andris Piebalgs

Lettre ouverte à l’attention de :
  • Mme Ashton Catherine, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité‎,
  • M. Andris Piebalgs, commissaire au Développement de l’Union européenne

Copies :

  • M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères du gouvernement français
  • M. Pascal Canfin, ministre délégué au Développement du gouvernement français
  • M. Elmar Brok, président de la commission des Affaires étrangères du Parlement Européen
  • Mme Eva Joly, présidente de la commission Développement du Parlement Européen
  • Présidents des groupes parlementaires du Parlement européen :
    • M. Joseph Daul, Parti Populaire Européen (Démocrates-chrétiens)
    • M. Johannes Swoboda, Alliance Progressiste des Socialistes & Démocrates
    • M. Guy Verhofstadt, Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe
    • M. Cohn-Bendit et Mme Rebecca Harms, Verts/Alliance libre européenne
    • M. Marek Grobarczyk, Conservateurs et Réformistes européens
    • Mme Gabi Zimmer, Groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique
    • M. Emmanuel Bordez, Europe de la liberté et de la démocratie
    • M. Calixte Batossie Madjoulba, ambassadeur du Togo en France
    • M. Félix Kodjo Sagbo, ambassadeur du Togo à l’Union Européenne

Objet : Demande d’action urgente de l’Union européenne au Togo en vue d’une organisation des élections législatives transparentes, consensuelles et crédibles

Madame le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité‎,

Monsieur le commissaire au Développement de l’Union européenne,

Entre 2009 et 2011, l’Afrique francophone a connu une vague d’élections présidentielles dont les résultats ont souvent été contestés. Si des transitions démocratiques ont connu un certain succès, au Niger par exemple, la démocratisation du continent africain avance difficilement, et, certains régimes dictatoriaux ont réussi à trouver une ‘légitimité’ internationale en instrumentalisant une démocratie factice au moyen d’élections fraudées. Fin 2012, début 2013, le hasard des calendriers électoraux amène une nouvelle vague d’élections, cette fois, législatives. L’enjeu de démocratisation se déplace des présidentielles aux législatives, mettant l’accent sur le renforcement des institutions.

Au Togo, suite aux massacres de 2005 à l’arrivée de Faure Gnassingbé au pouvoir, en accord avec l’Organisation des Nations unies et le Programme des Nations Unies pour le Développement, l’Union Européenne a soutenu le pays au niveau des processus électoraux et de la construction de l’Etat de droit, par ses Missions d’Observation Electorale et ses financements. Cette action a indirectement conforté un régime caractérisé par la violence de la répression, l’impunité, la corruption, et le refus de toute alternance politique. Le soutien à la démocratisation a parfois perdu de son efficacité et de son sens. En 2010, l’Union européenne a financé à hauteur de 12,5 millions d’euros l’organisation de l’élection présidentielle, et a envoyé une Mission d’Observation, impliquant par son budget les contribuables européens. L’Union européenne était le garant attendu des résultats comme premier donateur et observateur. Les conditions de cette élection n’auraient pas été acceptées dans les démocraties adhérentes à l’Union européenne. L’Union européenne se doit de tirer les conséquences de son implication, particulièrement si elle continue de financer les élections au Togo. [1]

Si, parmi les principales dispositions de l’Accord Politique Global (APG) signé à Ouagadougou en 2006 entre le pouvoir togolais et les partis de l’opposition, suite aux 22 engagements pris en 2004 par l’Etat togolais auprès de l’UE, certaines ont partiellement été exécutées permettant au pouvoir de bénéficier des financements de l’Union européenne, les plus importantes notamment celles relatives aux réformes institutionnelles et constitutionnelles n’ont pu être mises en œuvre du fait du manque de volonté et de la mauvaise foi du pouvoir.

En 2012, l’ONU condamne sévèrement le gouvernement togolais sur la torture, en lui demandant de prendre rapidement des mesures qui auraient dû être prises depuis longtemps, mettant particulièrement en cause l’Agence Nationale de Renseignement (ANR), lui demandant de « mettre en œuvre les recommandations de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) sur les allégations de torture et de mauvais traitements dans les locaux de l’ANR et autres lieux de détention » [2]. Cette nouvelle condamnation démontre que le régime issu des massacres de 2005 a peu progressé dans la construction d’un Etat de droit.

Sans qu’il n’y ait de date certaine et alors que le chef de l’Etat togolais annonce dans ses vœux de nouvel an 2013 vouloir suivre un chronogramme avec une élection fin mars 2013, les législatives au Togo se dérouleront environ 3 ans après la présidentielle de mars 2010. Depuis cette date, les populations entraînées par l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC), la coalition de partis réunis au sein du Front Républicain pour l’Alternance et le Changement (FRAC), et, depuis le mois de mai 2012, le Collectif ‘Sauvons le Togo’ (CST), ainsi que la coalition « Arc-en-ciel », ont contesté les résultats de la présidentielle de 2010, et ont réclamé des élections législatives transparentes et organisées selon les standards internationaux. Le gouvernement a violemment réprimé les mouvements pacifiques de contestation, sans pour autant parvenir à briser la dynamique acquise au changement.

Ces coalitions de partis politiques réclament l’organisation consensuelle d’élections législatives face à la poursuite solitaire de l’organisation de ces élections par le gouvernement. Le Collectif ‘Sauvons le Togo’ a indiqué, le 1er janvier 2013 [3] « qu’il est prématuré d’aborder des questions liées à des élections sans la réalisation consensuelle des réformes institutionnelles et constitutionnelles. Il convient plutôt de réunir les conditions devant ouvrir la voie à un dialogue structuré, franc et sincère, … Le Collectif ‘Sauvons le Togo’ réitère sa proposition pour la mise en place d’un comité préparatoire qui conviendra des modalités du dialogue, dans ses aspects liés à la composition, au fonctionnement et aux sujets à débattre. Pour la sérénité des débats, la présence d’un médiateur choisi consensuellement, avec l’assistance de la communauté internationale, s’impose. »

Comme les diplomaties des principaux pays occidentaux, l’Union européenne est de nouveau prise à témoin d’un processus biaisé. Etant donné l’historique de l’influence européenne au Togo, sa volonté d’accompagner le régime, dont des personnalités fortes sont elles-mêmes mises en cause, vers un objectif de démocratie, quand ce régime ne semble pas partager les valeurs démocratiques, n’a jamais été comprise par la majorité de la population togolaise. La poursuite de cette politique pourrait donc être de nouveau assimilée à une complicité avec le régime dictatorial. A ce stade, l’Union européenne a encore la possibilité de corriger la logique de son implication, pour devenir un acteur fiable et reconnu de la démocratisation.

La qualité de l’organisation d’un scrutin se détermine en amont : au niveau de l’indépendance de l’organisation vis-à-vis du pouvoir, la préparation des listes électorales, la qualité du découpage des circonscriptions, – point bloquant pour le Togo –, le contrôle des moyens de l’Etat, les moyens financiers de l’opposition, la liberté de la presse, l’indépendance et le travail de la justice en cas de répression policière. L’Union européenne a émis après des législatives de 2007 des recommandations qui n’ont jamais été appliquées par le gouvernement togolais. En effet, parmi les recommandations de la Mission d’Observation Electorale de l’Union Européenne (MOE-UE) des législatives d’octobre 2007 figure la recommandation selon laquelle « la représentativité des sièges dans la nouvelle législature doit se faire sur des critères démographiques » [4], pour mettre fin à la sur-représentativité manifeste du Nord par rapport au Sud. Ce déséquilibre, imposé par un régime électoralement illégitime, est à la base du trucage prévisible dans l’organisation des législatives par le gouvernement sans concertation avec l’opposition. D’autres recommandations allant dans le même sens sont venues se rajouter dans le rapport de la MOE-UE de 2010, et l’opposition demande leur application. [5]

A partir du « printemps arabe », la politique européenne, que ce soit au niveau de la Commission ou du Parlement, s’est engagée dans le sens d’une politique plus « cohérente vis-à-vis des régimes autoritaires » associant développement, droits humains, et démocratie [6]. Les élections législatives au Togo révèlent un enjeu important pour la démocratisation du continent parce qu’il s’agit d’un des seuls pays subissant une dictature militaire à façade démocratique où le régime pourrait quitter le pouvoir par les urnes, l’opposition ayant réussi à rester électoralement forte malgré les manœuvres récurrentes visant à la déstabiliser. S’il est bien organisé et si les résultats sont correctement restitués, le prochain scrutin permettrait de sortir d’une impasse et montrerait la capacité du Togo à s’engager dans une alternance. Les élections législatives envisagées au Togo pourraient ainsi mettre un terme à la dictature en donnant un exemple positif pour d’autres pays. Il s’agit donc d’un test pour la communauté internationale et en particulier pour l’Union Européenne, qui par son expérience des Missions d’Observation, a la possibilité de devenir un soutien efficace, rapide, reconnu, pour la généralisation de la démocratie en Afrique.

2 avril 2014

BURKINA FASO: LES FANTÔMES DE SANKARA

Thomas Sankara a été assassiné le 15 octobre 1987.Thomas Sankara a été assassiné le 15 octobre 1987. © Dominique Faget - Alexander Joe/AFP

Le 15 octobre 1987, "Tom Sank" tombait sous les balles du commando officiellement venu l'arrêter. Vingt-cinq ans plus tard, "Jeune Afrique" est allé à la rencontre des acteurs de cette journée qui a sonné le glas de la révolution burkinabè. Des hommes dont l'histoire est indissociable de celle de leur pays.

« Ce matin du jeudi 15 octobre 1987, je m'étais réveillé d'une humeur égale sans me douter que ce jour marquerait un tournant dans l'histoire de notre peuple », écrivait Valère Somé dans Thomas Sankara. L'espoir assassiné (L'Harmattan, 1990). Quelques heures plus tard, le « PF » (pour président du Faso) sera criblé de balles au Conseil de l'entente, là où toutes les décisions se prenaient sous « Tom Sank ». Une tuerie qui sonnait le glas de la révolution burkinabè et l'avènement de « la rectification », et sur laquelle planent encore de nombreuses zones d'ombre.

Que sont devenus les acteurs du 15 octobre 1987 ? Beaucoup sont morts, et c'est certainement ce qui explique le silence de ceux qui sont encore en vie. À travers leur parcours, c'est l'histoire récente du Burkina que l'on raconte. Une histoire faite de sang et de pardons, de silences et d'inconnues.

Alouna Traoré Le miraculé

Alouna Traoré, la cinquantaine passée, est le seul survivant de la tuerie du 15 octobre. Ce jour-là, dans la salle de réunions où venait d'entrer Thomas Sankara, ils étaient six : tous membres du secrétariat de la présidence. Cinq seront tués ; lui sera blessé mais aura la vie sauve. À l'époque, il travaille depuis peu à la présidence, où il est chargé de l'information et de la propagande. Quelques mois plus tard, il racontera les détails de la fusillade au journaliste de Jeune Afrique Sennen Andriamirado. Depuis, il se tait, refuse de revenir sur cette journée. « Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire », philosophe-t-il. Il n'a pas bien vécu son exil (trois ans à Abidjan puis à Brazzaville, où de nombreux sankaristes se sont retrouvés). Encore moins son retour au pays, en 1991. Il a fait plusieurs dépressions nerveuses qu'il lie au 15 octobre.

À Ouaga, on le dit fou. « Il débloque complètement », pense un ancien ami de Sankara. Un autre suppute qu'il s'agit d'un moyen d'éviter les représailles... Ces « problèmes de santé » lui ont fermé bien des portes dans la fonction publique, où il a été réintégré en 1994. « Aujourd'hui, je suis serein, je me porte bien, je prie, j'ai une famille, mais c'est difficile de trouver un poste. » Il n'exclut pas de s'engager en politique, de devenir maire un jour. Sous quelle étiquette ? Celle du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), répond-il. Le parti de Blaise Compaoré, celui qui arriva au pouvoir à la mort de Sankara, et de Hyacinthe Kafando, un de ses bourreaux du 15 octobre ? « Il faut être opportuniste, aller là où on gagne. »

Hyacinthe Kafando Revenu de chez les morts

Lui aussi a échappé de peu à la mort. Pas en 1987, mais neuf ans plus tard. Le 15 octobre, il était dans le camp des vainqueurs. Il fut l'un des sept membres du commando chargé d'arrêter (ou de tuer, les versions varient) Sankara. Dans son livre, Somé l'avait accusé d'avoir tiré sur le capitaine. Il s'est depuis rétracté. « Je lui ai posé la question, il m'a dit que ce n'était pas lui », affirme-t-il aujourd'hui. À l'époque, Kafando est une terreur. Officiellement, il est le bras droit de Gilbert Diendéré, qui dirige le Centre national d'entraînement commando (Cnec) de Pô et dont les hommes sont chargés d'assurer la sécurité du PF. En fait, Kafando est déjà l'homme de main de Compaoré. Durant la « rectification », il sera le chef de sa garde rapprochée.

En 1996, il est accusé d'avoir fomenté un complot contre Compaoré, mais il pourrait tout aussi bien avoir fait les frais de sa rivalité grandissante avec Diendéré. Obligé de fuir, il s'exile aux Philippines. Son adjoint, Arzouma Ouédraogo, dit « Otis », accusé d'avoir trempé dans le coup (et qui faisait lui aussi partie des sept le 15 octobre), sera exécuté en décembre.

Kafando, qui n'aurait jamais perdu la confiance de Compaoré, réapparaît subitement en 2001, deux semaines après l'organisation d'une journée du pardon... Six ans plus tard, il troque le treillis pour le costume trois pièces et se fait élire à l'Assemblée nationale. Membre du CDP, il briguera à 57 ans un deuxième mandat en décembre prochain. Des sept membres du commando du 15 octobre, il est le seul encore visible. Deux sont morts et les quatre autres ont disparu de la circulation.

Gilbert Diendéré L'intouchable

Kafando n'aura pas eu la peau de Gilbert Diendéré. « Lui, c'est un intouchable », juge un ministre du gouvernement actuel. Le vrai bras droit de Compaoré, une pièce maîtresse du régime.

Le 15 octobre 1987, il est déjà proche de « Blaise ». Ce sont ses hommes du Cnec, qu'il dirigeait depuis 1983, qui ont abattu Sankara. Il est arrivé sur les lieux juste après la tuerie. « On ne voulait pas le tuer, juste l'arrêter », s'est-il longtemps justifié.

Depuis, il a pris du galon. En 1989, après avoir déjoué un complot présumé du numéro deux et du numéro trois du régime, Henri Zongo et Jean-Baptiste Lingani, il en devient lui-même le numéro deux. Aujourd'hui chef d'état-major particulier du président, il dirige l'élite de l'armée burkinabè, le régiment de la sécurité présidentielle (RSP). C'est lui aussi qui chapeaute l'ensemble des services de renseignements du pays. Le président peut-il un jour décider de s'en séparer ? C'est difficile à imaginer, confie un proche de Compaoré : « Diendéré connaît tous ses secrets. »

Étienne Zongo Loin du coeur

Le 15 octobre 1987, cela faisait quatre ans qu'il était l'aide de camp de Sankara, mais il se trouvait à des centaines de kilomètres de Ouagadougou, dans l'est du pays. « Je suis rentré trente minutes après le coup de feu. »

La deuxième fois qu'il a échappé à la mort, c'était durant les premières années de son exil au Ghana. Après deux années de détention et de résidence surveillée (il fut l'un des derniers à avoir été libérés), il avait rejoint plusieurs de ses camarades dans le pays de Jerry Rawlings. « Je fréquentais le Lion [Boukary Kaboré, dont il sera question plus loin, NDLR], raconte-t-il. Lui voulait rentrer et se battre. Mais j'avais l'impression qu'il était infiltré. Un jour, des gars venus du Burkina nous ont tiré dessus. » Depuis, plus de politique : il a disparu des écrans radars. Ses anciens amis disent n'avoir que très rarement de ses nouvelles. Il est le seul à ne jamais être rentré au pays.

Ce n'est pas qu'il a voulu oublier. Mais, dit-il, « je ne voulais pas être accusé de quelque complot que ce soit ». Contrairement aux autres, et même s'il reconnaît que l'exil n'est pas toujours confortable, il a su passer à autre chose. Il a d'abord occupé un poste dans une société pétrolière du Ghana, puis a rejoint Ghana Airways en tant que pilote en 1993. Depuis sept ans, il s'est reconverti en homme d'affaires prospère. Au Ghana dans le secteur pétrolier, et au Congo dans le bois. Peut-être rentrera-t-il au pays lorsque l'heure de la retraite aura sonné. Mais il ne revendiquera rien. Ni sa réintégration dans l'armée, ni un quelconque rôle politique : « J'ai assez donné », dit-il. Quant aux événements du 15 octobre, il n'y reviendra pas : « On connaît la vérité, mais on se protège. »

Boukary Kaboré Un lion sans éclat

En 1987, « Le Lion du Boulkiemdé » était un fidèle parmi les fidèles de Sankara. C'était aussi un chef militaire rustre et sans pitié, craint par la population. Le président l'avait placé à la tête de la brigade d'intervention aéroportée (BIA) de Koudougou, un poste stratégique dans l'armée. Avec Vincent Sigué, un chien fou qui terrorisait tout le monde mais d'une fidélité sans faille, et Michel Koama, le commandant de l'escadron de transport et d'intervention rapide (Etir), Kaboré faisait partie des anges gardiens de Sankara.

Quand il a appris la mort de son ami, il est entré en résistance avec ses hommes, à Koudougou. C'est certainement ce qui l'a sauvé. Au même moment, Koama était exécuté à son domicile, et Sigué abattu alors qu'il tentait de fuir vers le Ghana. Deux semaines plus tard, Kaboré filait à son tour chez le voisin ghanéen. L'exil fut long et oisif. Depuis son retour, en 1991, avec l'assurance de ne pas être poursuivi, il cultive la terre dans l'Ouest, essuie les critiques de certains sankaristes, qui le qualifient d'« escroc », et tente d'exister à travers son parti qui s'inscrit dans la mouvance sankariste, le Parti pour l'unité nationale et le développement (PUND). Mais il a perdu de son éclat : en 2010, il n'a recueilli que 2,31 % des suffrages à la présidentielle. En 2011, il a été réhabilité au sein de l'armée et promu au grade de colonel.

Valère Somé Du vague à l'âme

Somé, « c'est un incompris », juge un ancien ami de Sankara. Un intellectuel hors norme « à l'ego surdimensionné ». Un militant au caractère impossible, qui a le don de se mettre à dos tout le monde. Mais c'est surtout un homme détruit par la mort de son ami.

Le 15 octobre, il fut l'un des derniers à parler à Sankara. Le matin, le PF l'avait fait venir à la présidence. Auparavant ministre, il était chargé d'élaborer un programme pour le Conseil national de la révolution. Les deux hommes s'étaient quittés cinq heures à peine avant la fusillade.

Arrêté quelques jours plus tard, emprisonné et torturé, il quitte le pays en 1988. Suivent six années d'un exil douloureux (au Bénin, au Congo, puis en France). En 1994, il rentre au Burkina aux frais du pouvoir - ce qui fait dire à certains qu'il s'est vendu. Réhabilité dans la fonction publique, nommé dans un institut de recherche, où il étudie l'anthropologie, il tente de faire vivre la pensée sankariste sur la scène politique, mais il se fâche avec tout le monde. Il crée un parti, un deuxième, puis un troisième, avant de se résoudre à prendre du recul, en 2002. Il tombe, un temps, dans l'alcoolisme et dans l'oubli.

Aujourd'hui, « il semble aller mieux, dit un ami. Il ne boit plus ». Il envisage même un retour en politique. Mais pas question d'aller « composer avec les loups ». Ceux qui ont tué Sankara ? « Pourquoi les citer ? » Le passé est le passé.



Lire l'article sur Jeuneafrique.com : Burkina Faso | Révolution burkinabè : les fantômes de Sankara | Jeuneafrique.com - le premier site d'information et d'actualité sur l'Afrique 
Follow us: @jeune_afrique on Twitter | jeuneafrique1 on Facebook

2 avril 2014

Par Damien Glez Blaise Compaoré ne doit pas

Blaise Compaoré ne doit pas beaucoup fermer l’œil ces derniers temps. Blaise Compaoré ne doit pas beaucoup fermer l’œil ces derniers temps. © Glez/J.A.

Au moment où le régime du président burkinabè, Blaise Compaoré, est fragilisé, deux assassinats officiellement non élucidés remontent à la surface : ceux de Thomas Sankara et de Norbert Zongo. La justice du Burkina Faso va-t-elle convaincre de sa bonne foi ?

Bien qu’il se mure dans un silence de comateux, Blaise Compaoré ne doit pas beaucoup fermer l’œil. Après 26 ans de pouvoir, le sommeil du président burkinabè est sans doute perturbé par une défiance politique tout à fait inédite. À l’heure où le principal parti qui le soutient - le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) - souffre d’une hémorragie de militants de premier plan, deux dossiers judiciaires se rappellent au mauvais souvenir du premier magistrat du Faso. Et réveillent concomitamment deux fantômes : celui d’une plume-à-gratter et celui d’un frère d’arme iconique qui viennent chatouiller les orteils du “beau Blaise”.

28 mars 2014, 15 ans après l’assassinat de l’homme de presse burkinabè Norbert Zongo, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples évoque "un certain nombre de carences dans le traitement de cette affaire par la justice nationale". Saisie par les avocats des héritiers du journaliste d’investigation, elle vient de rendre un long arrêt. Le juge Gérard Niyungeko indiquait vendredi 28 mars que la justice burkinabè n’avait pas fait ce qu’il fallait pour identifier et présenter devant la justice les auteurs de l’assassinat, ce qui pourrait être considéré comme une violation des traités internationaux qui garantissent la protection des droits de tout citoyen. En cause : des problèmes de timing dans les procédures et un manque d’empressement à explorer plusieurs pistes tracées, à l’époque, par la Commission d’enquête indépendante. Norbert Zongo enquêtait sur l’assassinat du chauffeur du frère du président Compaoré. Est-il dans l’intérêt du régime burkinabè de laissait penser que ceci pourrait expliquer cela ?

En avril 2006, déjà, le Comité des droits de l'homme de l'ONU demandait à l'État burkinabè de garantir aux familles une justice impartiale.

Hasard du calendrier, une autre juridiction doit s’exprimer ce 2 avril. La Chambre civile du tribunal de grande instance de Ouagadougou doit annoncer son verdict sur une demande d’exhumation du corps de Thomas Sankara, président du Burkina Faso disparu lors d’un coup d'État qui porta au pouvoir l’actuel locataire du palais. Le 15 octobre 1987, quinze responsables de la "Révolution démocratique et populaire"  – dont son président – auraient été enterrés au cimetière de Dagnoën, sans que leurs familles puissent les identifier. Les ayants droit de Sankara souhaitent que leurs dépouilles soient expertisées, afin que l’on connaisse avec certitude leurs identités et que l’on infirme éventuellement la "mort naturelle" officiellement évoquée sur les actes de décès. En avril 2006, déjà, le Comité des droits de l'homme de l'ONU demandait à l'État burkinabè de garantir aux familles une justice impartiale. Celle-ci commence par la preuve des enterrements...

Portée symbolique

Bien sûr, les militants qui commémorent, chaque 13 décembre, l’assassinat de Norbert Zongo se font peu d’illusion sur la possibilité d’une issue judiciaire, quelques années après le décès du seul inculpé dans cette affaire, l’ancien responsable de la garde présidentielle, Marcel Kafando. Bien sûr, peu d’hypothèses accréditent la thèse selon laquelle le corps de Thomas Sankara ne se trouverait pas à Dagnoën. Mais les deux rebondissements de cette semaine ont une portée symbolique certaine. Zongo et Sankara sont les deux icônes de la jeunesse burkinabè, majoritaire dans le pays. La reconnaissance du mauvais traitement judiciaire de la disparition de l’un et la puissance dramaturgique de l’exhumation de l’autre galvaniseraient une population qui se surprend, depuis une année, à imaginer la fin du régime actuel.

>> Lire aussi : Les fantômes de Thomas Sankara

Blaise Compaoré n’est plus éligible, si l’on s’en tient au verrou constitutionnel justement élaboré suit à l’émotion suscitée par la mort de Zongo. Le président est pris dans un étau, oppressé entre la loi fondamentale qui lui indique la sortie et la pression d’une opposition requinquée, capable de compromettre sa modification. Il n’avait vraiment pas besoin qu’on ressuscite des fantômes ; ni Sankara, le chantre de l’intégrité burkinabè, ni Zongo, le porte-voix des sans-voix. Ultime énigme : des perspectives judiciaires dans le ciel de Compaoré sont-elles de nature à lui faire lâcher le pouvoir, comme convenu, ou à s’accrocher à son immunité présidentielle ?

Lire l'article sur Jeuneafrique.com 

Publicité
Publicité
<< < 1 2
LE PANAFRICANISME NOUVEAU
  • Le Panafricanisme est une idée politique et un mouvement qui promeuvent et encouragent la pratique de la solidarité entre les africains où qu'ils soient dans le monde. Le panafricanisme est à la fois une vision sociale, culturelle et politique d'émancipati
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Visiteurs
Depuis la création 150 111
Publicité