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LE PANAFRICANISME NOUVEAU
12 juin 2013

LA STRATIFICATION SOCIALE OU LES CASTES CHEZ LES PEULS

 Par Yaya Wane

L'emploi pour ainsi dire général du terme de caste, pour la description des sociétés négro-africaines, n'est-il pas quelque peu contestable, et ne constitue-t-il pas un rapprochement par trop sommaire avec l'Inde, où cette forme d'organisation sociale a tout d'abord été observée ?

Le terme de caste conserve-t-il un sens univoque pour l'Inde et l'Afrique noire, malgré la différence fondamentale entre une société strictement endogame excluant les intouchables, et une quelconque ethnie africaine où la pratique plus souple de l'endogamie est connue, comme l'inégalité des individus, mais sans que cette inégalité se traduise dans une antinomie sacrée entre supérieur et inférieur ?

L'analogie ne manque pas d'être superficielle entre castes de l'Inde, d'une part, et castes africaines, d'autre part. Néanmoins, faute d'un concept davantage approprié à la réalité africaine, l'on continuera de faire usage du terme de caste pour la description de la société toucouleur. Mais l'on fera beaucoup de réserves, toutefois, dans la mesure où il nous a semblé avoir affaire moins à des castes proprement dites qu'à des catégories sociales complexes, catégories plutôt juxtaposées, sans être pour autant très nettement différenciées les unes relativement aux autres.

Tout d'abord, l'on passera en revue lesdites castes toucouleur. Après quoi, il sera tenté sinon de déterminer la limite de la notion de caste, à tout le moins de dégager la logique du système social des Toucouleur du Fuuta-Tooro.

De prime abord, l'étude des castes toucouleur suggère la correspondance avec une certaine configuration de l'espace villageois, où lesdites castes se répartissaient jadis en fonction directe du rôle social, soit encadrement (chefferie temporelle et spirituelle), soit production économique. Grosso modo, les castes de l'encadrement social s'installaient au centre de l'agglomération, tandis que les castes productrices se situaient à la périphérie, et d'autant plus éloignées du centre que leur fonction économique les mettait en contact étroit avec la nature, dont il fallait en conséquence se rapprocher.

Toutefois, à l'origine de maints villages toucouleur, il y a généralement l'initiative d'un ou plusieurs fondateurs le plus souvent de caste libre. Et c'est par la suite seulement que l'initiateur, ou le groupe restreint des fondateurs, aura été progressivement rejoint (nooteede) par d'autres personnes, qui plantaient leur cases un peu au hasard et au fur et à mesure de leur arrivée. De sorte que la configuration spatiale villageoise, dans la majorité des cas observables, obéit rarement à la règle de partage harmonique de l'agglomération en secteurs réservés à ses différentes castes constitutives. En règle pour ainsi dire générale, telle caste déterminée se trouvera éparpillée au sein du village, dont le clivage social est donc davantage familial. L'ancienne et hypothétique ségrégation de l'habitat en fonction des castes semblerait plutôt avoir fait place à une certaine confusion ou anarchie de la configuration spatiale villageoise.
Sans doute, il existe au Fouta un grand nombre de villages spécifiques, dont les habitants appartiennent à une caste unique, qui pourra être soit professionnelle soit servile. Tandis que d'autres villages du Fuuta-Tooro auront çà et là conservé des quartiers que leurs dénominations désignent comme territoires anciennement dévolus à telles castes déterminées, leegal koreeji, leegal sebbe, leegal toorobbe, subalo, etc. Actuellement, toutefois, par-delà les quartiers (leede) constitutifs du village, il est courant que les habitants soient organisés en kinnde, ou groupements des personnes appartenant à la même caste (hinnde jaawambe, hinnde maabube). Ou bien, le hinnde sera l'une des principales familles locales (en nombre variable) qui, outre leurs membres authentiques, intègrent une véritable « clientèle », à savoir les gens de castes inférieures, dépendant traditionnellement de ces grandes familles depuis la plus lointaine origine.

En second lieu, les castes peuvent être cernées sous l'angle du labeur qui leur est dévolu dans la division générale du travail, à savoir la fonction de l'homme de telle caste déterminée. Cette fonction pourra être un métier que l'on se transmet de père en fils, ou bien une condition qui ne trouve plus d'exutoire, en raison des mutations sociales qui en limitent l'exercice, ou le rendent impossible. Le métier c'est, par exemple, celui du savetier (sakke), alors que la condition sera essentiellement celle du tooroodo, ancien cadre social traditionnel, déchu par la colonisation et une certaine forme de démocratie sociale. La condition peut encore être celle de l'esclave de naissance qui, pour les mêmes raisons sociales précédentes, ne sera pas fatalement soumis à un maître.

A ces réserves près, les castes correspondraient à une certaine division du travail social. La fonction d'encadrement, l'autorité politique autrement dit, aurait initialement appartenu auxsebbe (guerriers) avant que se substituent à eux les toorobbe, ces derniers s'emparant en outre de l'autorité religieuse (ceerno). Les jaawambe auraient intégré par la suite cette classe dirigeante politique et religieuse, au titre de conseillers (sooma) avertis des « princes » toorobbe.
Quand ils se trouvèrent complètement destitués de leur rôle social prééminent, la majorité des sebbe furent réduits à l'oisiveté, tandis que certains d'entre eux prenaient la fonction de gardiens (jagaraf) de la terre, à moins de rallier le groupe des subalbe (pêcheurs), lesquels, en leur qualité de maîtres incontestés des eaux (jaaltaade), forment le quatrième élément de l'encadrement social toucouleur.

Après les castes d'autorité — toorobbe, sebbe, jaawambe et subalbe — viennent les travailleurs manuels, dont la spécialité dépend évidemment de la matière qu'ils doivent transformer. Les professionnels stricto sensu sont :

 

  • les tisserands (maabube)
  • les forgerons et orfèvres (wayilbe)
  • les peaussiers (sakkeebe)
  • les boisseliers (lawbe)
  • les céramistes (buurnaabe)

 

 A ces différents travailleurs manuels viennent se joindre ceux que l'on pourrait appeler les techniciens de la diffusion, c'est-à-dire tout à la fois les musiciens, chanteurs, laudateurs et autres amuseurs publics. Ce groupe, fort diversement constitué, comprend : 

 

  • les griots généalogistes (awlube) des toorobbe
  • les guitaristes (wambaabe), les glorificateurs des sebbe (lawbe gumbala)
  • les courtisans des peul et subalbe (maabube suudu Paate), et ceux des jaawambe (maabube jaawambe)

 

Enfin, au bas de l'échelle se situe la caste des serviteurs, c'est-à-dire les esclaves de tous ordres (maccube), dont les maîtres seront soit de la catégorie sociale dirigeante, soit de la catégorie professionnelle des travailleurs manuels et des Griots.

Toutefois, la fonction dévolue à l'homme, dans la division du travail social, ne rend pas suffisamment compte de la notion de caste. Car si l'on envisage uniquement la profession, voire la condition correspondant à la caste, les hiérarchies sociales restent dans l'ombre, alors qu'elles sont fondamentales. En effet, la caste apparaît toujours comme une valorisation intrinsèque de la personne, ou au contraire sa dévalorisation foncière. En d'autres termes, la profession ou condition ouverte par la caste exprime le dehors de la caste, pour ainsi dire son aspect objectif et apparent ; tandis qu'il subsiste un second aspect interne de la caste, sa valeur subjective, à savoir la place qui lui est dévolue de toute éternité dans le consensus social.
De ce second point de vue axiologique, où la division du travail devient secondaire, le consensus social comportera trois catégories bien distinctes, chacune d'elles insérant en son sein un nombre variable de castes. Ces catégories sociales seront respectivement, et dans l'ordre de valeur décroissante : 

 

  • celle des rimbe (toutes les castes libres et dirigeantes)
  • celle des nyeenybe ou nyaamakala (les castes professionnelles, à savoir les manuels, les divertisseurs et les laudateurs)
  • au dernier degré de la stratification sociale, la catégorie servile des jiyaabe ou esclaves 

 

A la première catégorie (rimbe) appartiennent les personnes au 

sens

 plein du terme, définies par l'intelligence, le savoir, la possession des biens et l'autorité, mais également l'orgueil, l'honneur et la. générosité.

 

Le deuxième ordre (nyeenybe) rassemble la multitude des individus auxquels incombent la technique et l'art, entre autres utilités sociales. Les nyeenybe sont soumis aux rimbe, qui les méprisent, les utilisent et les payent de générosité. Les nyeenybe sont caractérisés par l'absence d'amour-propre et par la modestie, tout au moins relativement aux rimbe.

Au troisième rang (jiyaabe), l'anonymat l'emporte, car les esclaves ne sont pas tant ces humains, dont ils offrent l'apparence, que des bêtes de somme. C'est la raison pour laquelle les esclaves étaient jadis caractérisés par l'humilité complète, que nulle besogne ne savait rebuter. Car, le contrat social, qui les régissait alors, en faisant stricto sensu des biens, soumis au bon plaisir de leurs maîtres (rimbe et nyeenybe) de droit divin, lesquels maîtres avaient faculté entière pour obtenir des serviteurs un rendement croissant, à coups de pied (dampe dawa) si c'était nécessaire.

Ainsi donc, il y aura pour chaque individu, et par-delà sa profession ou condition, une catégorisation déterminée, parce que sa caste d'appartenance le range dans l'un des trois ordres que comporte la collectivité sociale, ordres constitués en hiérarchies internes. Mais ce sont des hiérarchies — la catégorie servile mise à part — où les solutions de continuité apparaissent constamment, tant au sein d'un quelconque ordre que lorsqu'il s'agit de passer d'un ordre social à l'autre.

Ainsi, par exemple, l'on ne peut à vrai dire parler de supériorité du tooroodo sur le ceddo, sauf choix délibéré de celui-ci, qui se soumet de lui-même pour en tirer profit. Le ceddo est comme le tooroodo un homme libre (dimo), et celui-là tire bien souvent gloire de l'antériorité de sa caste.

De même, un dimo quelconque n'est pas nécessairement prééminent sur un nyeenyo, pris au hasard. Néanmoins, il semble qu'une tradition se soit depuis longtemps instituée qui accorde au dimo la maîtrise absolue, et la soumission au nyeenyo.

En tout état de cause, les trois catégories sociales se dédoublent en 

classes

 ou strates. Il y aura donc clivage entre :

  • rimbe ardiibe (aristocratie politique et religieuse)
  • rimbe huunybe (libres mais courtisans) 

 tandis que les nyeenybe se partageront en :

 .      - manuels (fecciram golle)

       - divertisseurs (naalankoobe) ou laudateurs (nyaagoobe) 

 les jyaaɓe se répartissant en :

  • affranchis (soottiibe)
  • dépendants (halfaabe), quand ce ne sont pas des esclaves en rupture de maîtres (tabbe-ɓoggi), ou bien des captifs auxquels leurs maîtres ont librement renoncé (Daccanaabe Allah) 

Les sous-variétés étant exclues, douze castes pour ainsi dire fondamentales constituent la société toucouleur, et vont maintenant être examinées dans le détail. Il sera procédé au recensement des patronymes (jettooje) distinctifs de ces castes, comme à la colligation de leurs origines légendaires ou supposées, et des croyances sociales qui s'y rattachent.

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Commentaires
T
Merci bien ces informations!
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  • Le Panafricanisme est une idée politique et un mouvement qui promeuvent et encouragent la pratique de la solidarité entre les africains où qu'ils soient dans le monde. Le panafricanisme est à la fois une vision sociale, culturelle et politique d'émancipati
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